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Chronique en séries : Fleabag

Tadam ! Mardi, jour de la chronique ! Pour mettre votre série préférée à l’honneur et participer vous aussi, rien de plus simple : envoyez simplement un e-mail à marie@betaseries.com avec la série que vous souhaitez présenter, et le tour est joué ! Votre chronique sera ensuite publiée sur le blog et relayée sur les réseaux sociaux de BetaSeries. De quoi trouver de l’inspiration et peut-être découvrir votre prochaine série coup de cœur !

Sans plus attendre, retrouvez ci-dessous la chronique de bobtista, qui vous parle de Fleabag !


Mais qui est donc Fleabag ?

Non ce n’est pas un animal traînant ses puces. Encore que si nous considérons les hommes comme le plus animal des êtres peuplant la terre et les puces comme les démangeaisons d’afflictions de l’âme et du corps, nous pourrions considérer Phoebe Waller-bridge comme un sac à puce. Un grand sac à puce très confortable.

PWB -j’abrège, ne m’en tenez pas rigueur- est une londonienne au début de la trentaine au charme tout à fait anglais si tant est qu’on aime les bouclettes et l’humour cynique. Elle est la créatrice de deux séries : Fleabag et Crashing, antérieure, à propos de laquelle je ne dirai qu’une chose : qu’il vous faut la voir si ce n’est déjà fait.

Cette seconde création – on le sait déjà n’est plus que la deuxième PWB écrit une nouvelle série intitulée Killing Eve – n’est donc pas son coup d’essai mais assurément un coup de maître.

Si la créatrice brasse des thèmes classiques comme l’amitié, le pardon, celui des autres mais aussi celui que l’on se doit tous, ou l’envie d’aller de l’avant dans l’existence, elle ne le fait jamais de manière académique et qu’y a-t-il de plus intéressant que lorsque les artistes inventent de nouveaux langages nonobstant des règles que l’industrie assure être un préalable impérieux au succès commercial, or créer n’a jamais été une affaire de business. Phoebe dit à ce propos qu’elle « adore n’importe quelle forme de langage qui peut changer l’ambiance dans une pièce », rien n’est inutile et c’est tout à son honneur. Sans limites du moment que cela permet la bonne mise en marche des rouages de la machine narration. Âmes sensibles vous êtes prévenues si le « trashouile » vous révulse vous risquez la pâteuse.

Le style de la british est caractérisé par des changements de tons radicaux et audacieux, entre rires et pleurs notre coeur vacille d’un moment de plénitude à un moment de malaise, là se trouve sans doute le comment du pourquoi de l’intensité des sentiments subis, les montagnes russes émotionnelles ont ceci d’avantageux qu’elles permettent de marquer les coeurs. Le génie de son  écriture vient du contrepied constant.

Le personnage de Fleabag, on ignore son nom, est complexe et c’est tant mieux mais l’écriture est assez habile pour ne pas nous perdre ni nous ennuyer.

Patronne d’un café épicerie qu’elle tient avec son hamster qui se dévoilera comme bien plus qu’une boule de poil de compagnie.

Elle est une fille au gouffre affectif, à la communication maladroite nimbée d’humour, plus noir qu’un café de grand-mère afin d’y soustraire ses sentiments à la vue de quiconque ne devrait pas les entrevoir c’est-à-dire à peu près tout le monde, et d’une tension sexuelle en vol stationnaire; quand bien même PWB avoue qu’« une véritable communication via le sexe lui semble être chose rare », je pense à ce moment très fort à son mari, hum. Subséquemment, ce que Fleabag cherche à atteindre par la pratique des plaisirs de la chair est plus de l’ordre de l’évasion et du pouvoir parce que oui elle est une « control freak » comme disent les anglophones. La demoiselle fictive est également en besoin constant d’appartenance et de reconnaissance mais n’en sommes-nous tous pas au même point, du moins avec les êtres chers ?

Nous avons là un personnage au mal-être brutal mais d’une certaine manière intègre ce qui en fait un intérêt au-delà de tous les persos des séries mainstreams écrits pour plaire ou déplaire, blancs ou noirs, gentils ou méchants, beaux ou moches. Ce dernier genre de procédé est précisément la raison qui poussa PWB à prendre le stylo : coucher des protagonistes en nuances, ses rôles féminins ne sont plus cantonnés à « la fille avec qui le héros veut coucher. Ou pas ».

Je ne vous cache pas que la série est remplie de personnes au bord de la crise de nerf. Et pas seulement les femmes. Ce sont ces failures exactement qui rapprochent pourtant les caractères mêmes qui au début de la série se toisaient d’un dédain réciproque, protagonistes comme deutéragonistes, personne n’est épargné mais personne n’est oublié non plus.

Ce qui me rend triste quand je pense à ce que pourrait être le monde si l’on faisait preuve d’une telle ouverture d’esprit.

L’intérêt de personnages fictionnels ce sont des parcours qui slaloment entre les stéréotypes en direction de l’évolution, ce qui est loin d’être le cas d’une grosse partie de la production télévisuelle et cinématographique. PWB n’a rien à vendre mais beaucoup de choses à raconter, une des raisons sans doute pour lesquelles ses créations évitent ces écueils contemporains que tant d’autres projets se mangent en pleine face. Jean-Baptiste Thoret parle très bien de ceci dans sa vidéo sur le stéréotype et une certaine idée de la France mais son raisonnement peut s’appliquer à plus grande échelle.

En ces temps où la multitude semble découvrir les abus d’Hollywood c’est une série qui parle beaucoup des femmes, de leurs challenges modernes procédant de l’archaïsme de certaines règles sociales et certaines mentalités pourrissantes. Un exemple tout simple : la figure du jeune homme en colère est tellement ancrée dans l’esprit collectif qu’elle en est devenue usuelle, et même positive de certains points de vue. Il est en colère et il a bien raison, il questionne tout et ne se laisse pas conter fleurette – bah nan ça c’est pour les gonzesses – il est critique. Maintenant, remplacez jeune homme par jeune femme et trop d’esprits penseront dans la foulée « emmerdeuse féministe », ce dont Fleabag se moque puisqu’elle se définit elle-même comme une mauvaise féministe.

Il paraît que beaucoup de femmes, s’identifiant au personnage, de leur propre aveu à notre amie, se sont senties normales suite à la popularité de Fleabag, c’est dire la pression sociale exercée sur la gent féminine, il ne tient d’ailleurs qu’à nous de plus de tolérance mais qui s’en soucie du moment qu’il a des attributs entre les cuisses ?! Pas encore assez de monde apparemment.

Une dernière chose importante à savoir avant de vous jeter sur les plate-formes de streaming ou vos logiciels de torrents – je ne juge pas – est que Fleabag était une pièce de théâtre avant d’en être une de premier choix dans la petite lucarne.

Je dis important car certains choix de réalisation découlent directement de ce lignage.

Le cassage du quatrième mur en est le parfait exemple. Tout du long des six épisodes de la première saison courant sur trois jours da la vie de notre « héroïne » elle ne cesse de nous interpeller en s’adressant directement à la caméra, souvent proche d’elle comme lors d’une confession. Ce gimmick est ainsi hérité des planches : en effet lors des représentations théâtrales, tout ce que pouvait dire la narratrice qui s’adressait directement à la salle était vrai ou tout du moins supposé vrai puisque les spectateurs n’appréhendaient le monde qu’à travers ses yeux, permettant une manipulation aisée du public. Or dans la série TV, le monde continue de se dérouler autour de Fleabag, il fallait donc changer d’ADN et trouver une astuce avec laquelle jouer. L’adresse directe à l’objectif permet notamment de décrire une situation qui se déroulerait tout à fait autrement juste sous nos yeux ou dans le même esprit faire le portrait d’une personne qui se trouverait être à l’opposé de la description – c’est ce que l’on appelle refaire le portrait. La caméra devient donc la complice de Fleabag qui là encore dévoile une faiblesse dans ses relations à autrui : il est toujours plus facile d’avouer l’inavouable à un étranger qu’à un être proche mais c’est souvent moins efficace. Cette connivence nous permet une collusion avec le personnage. Bon, l’illusion n’est pas loin puisque ledit compérage est explicite et juste entre elle et les quelques milliers de téléspectateurs, que dis-je dizaines, centaines de milliers, oserais-je le million. Cela me ravirait pour la talentueuse auteure.

Si PWB ne parle pas d’autobiographie il n’en reste pas moins que beaucoup d’idées et de scènes lui ont été inspirées par ses véritables expériences, vous penserez à cet article lors de la scène du ninja et de la douche. Ça par exemple c’est du vécu.

Et si Fleabag n’est pas une série évidente à aborder, de par ses personnages et son héroïne égoïste, menteuse et voleuse mais aussi honnête, ouverte et avec le cœur à la bonne place, ses situations gênantes et certains thèmes pas si fréquents à la télévision, elle réussit néanmoins sans nous prendre par la main mais par le biais de petits indices, de menus détails disséminés tout du long de la pellicule – tiens! Peut-on encore viablement utiliser cette expression ? – cette subtilité de la réalisation nous embarque dans les méandres d’une culpabilité au lourd secret fondement du mal-être de Fleabag.

Voilà une fille qui ne se voile la face ni à la scène ni à la vie, qui réussit à se faire se demander si les gens aiment sa série parce qu’ils aiment être un peu secoués, choqués ou simplement parce qu’ils arrivent à s’identifier à son personnage humain après tout. N’oubliez pas vos casques. La route est chaotique.

Pour conclure je regarderai Doctor Who le jour où on donnera à PWB ce rôle qu’elle a failli et aurait dû obtenir. Non je ne prends pas beaucoup de risques, en même temps vous avez vu le nombre d’épisodes ?!

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Published by
Maretoh