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Chronique en séries : The Wire

Un mardi, une chronique ! Toi aussi, tu veux écrire un mot sur ta série préférée et la faire connaître à tes acolytes sérievores ? Alors n’hésite pas à envoyer un e-mail à marie@betaseries.com et nous publierons ensuite ton texte sur le blog de BetaSeries !

Pour cette deuxième chronique de 2018, Axel_Remaster revient sur la série culte The Wire !


Il y a 10 ans s’achevait sur la chaîne câblée américaine HBO la série « The Wire » (« Sur écoute »). Si elle a connu des audiences confidentielles pendant sa diffusion, elle est rapidement devenue au fil des années une référence des productions TV des années 2000 et une série culte. Diffusée à partie de 2002, The Wire est une série unique en son genre, qui décrit le quotidien des habitants de Baltimore, ville du nord-est des Etats-Unis ravagée par la crise industrielle des années 70-80 et qui a perdu depuis plus d’un tiers de sa population.

Cette série est unique en son genre pour plusieurs raisons. Elle garde en haleine les spectateurs non pas pour ses énigmes à répétition, mais par la densité sans faille de sa narration qui nous parle des « vrais » habitants des Etats-Unis… Elle raconte, jour après jour, la survie de ces gens dont on ne vous parle jamais dans les séries classiques, ceux qui courbent l’échine, les anti-héros qui n’intéressent que trop peu les producteurs hollywoodiens. Elle dissèque ces groupes sociologiques (policiers, dealers, drogués, politiciens, fonctionnaires, services sociaux et éducatifs, etc.) qui sont tous dans « The Game » (surnom donné au trafic de drogue, véritable fléau à Baltimore), et qui sont sans cesse maltraités par ce système qui les broient sans aucune pitié. Elle montre que les groupes les plus disciplinés ne sont pas toujours ceux que l’on imagine et s’évertue pendant 5 saisons à démontrer que les individus ne sont que peu de choses dans un système où seule la hiérarchie (« Chain of command ») est la règle absolue.

Telle une gigantesque fresque, chacune des 5 saisons met le doigt sur une faille du système. La première s’évertue à nous montrer que les forces de Police et judiciaires sont impuissantes à lutter efficacement contre le trafic, et que les moyens dont elles disposent en cette époque d’austérité budgétaire pour les états sont bien trop dérisoires… La deuxième saison met en lumière le désespoir d’un groupe de syndicalistes du port de Baltimore (les dockers) à lutter pour survivre face à la gentrification en marche de leur territoire : la ville… Cette ville où ils luttent inlassablement face aux promoteurs immobiliers (et aux hommes politiques corrompus qui soutiennent les promoteurs) pour préserver et améliorer leur outil de travail… Dans la troisième saison c’est le système politique, corrompu et de mèche avec les trafiquants, qui est disséqué en suivant pas à pas la lutte d’un jeune conseiller démocrate blanc à conquérir l’hôtel de ville de Baltimore, ville composée de 85% d’Afro-Américains… La quatrième saison est certainement celle qui m’a laissée le souvenir le plus glaçant, car on y voit l’état de délabrement effroyable du système éducatif américain qui abandonne la majeure partie de sa jeunesse à la rue et aux trafics… Enfin, la cinquième et dernière saison montre, avec beaucoup de brio et beaucoup d’humour, comment les médias utilisent la détresse de leurs concitoyens pour participer à la course aux scoops et à l’audience, et comment les politiques utilisent ces mêmes médias pour manipuler leurs concitoyens.

Vous me direz, cette série a l’air bien triste… Oui, son sujet de société est forcément un fil conducteur qui laissera toujours un goût amer dans la bouche, mais c’est aussi et avant tout de formidables dialogues, des moments d’humour savoureux (humour noir, très noir le plus souvent), et une galerie de personnages incroyables dont les emblématiques « Omar Little », sorte de robin des bois gay, urbain et moderne, qui dévalise les gros trafiquants pour survivre, « Mc Nulty », flic brillant, pugnace mais aussi alcoolique et baiseur invétéré haïssant l’autorité, ou encore « Bubbles » toxicomane sans-abris qui survit à coups de combines et de tuyaux balancés aux flics… Et tellement d’autres encore… On ne s’y ennuie jamais une seconde, et on a beaucoup de mal à s’en extraire une fois immergé (elle a été mon premier « Binge watching »).

The Wire est portée par une réalisation sans faille, un style narratif unique qui oscille entre l’argot de Body’More et des passages littéraires de haut niveau, un casting de haute volée (à majorité Black) dont l’immense majorité sont devenues des stars incontestées des grandes séries HBO (entre autres), et enfin une construction qui navigue entre le documentaire et le roman Dickensien. Surement parce qu’elle a été créée et conçue par un ex-flic de Baltimore (Ed Burns) et un ancien journaliste (David Simon) qui ont parcouru de long en large ce ghetto urbain qu’est la ville américaine du 21ème siècle. Surement aussi parce qu’ils se sont entourés de la crème des auteurs dans leur équipe, comme Dennis Lehane (Mystic River), George Pelecanos (Treme) ou bien encore Richard Price (The Night Of). Enfin rappelons que la série est inspirée du livre de David Simon (Homicide: A Year on the Killing Streets, 1991) où il raconte son immersion pendant un an dans le quotidien des flics désabusés de Baltimore.

On fait souvent un parallèle justifié avec « The Shield », série de Shawn Ryan décrivant la descente aux enfers d’un groupe de policiers corrompus dans le quartier ultra-chaud de Farmington à Los Angeles. Elles ont de nombreux points communs dans leur absence de manichéisme, mais aussi et surtout dans leur forte vision cynique, réaliste et désabusé de l’état de nos sociétés et sur l’impuissance des autorités diverses à contrecarrer la montée implacable des trafics et de la corruption. Elles ont également un autre point commun, Clark Johnson, qui a réalisé les premiers épisodes des deux séries et leur a donné cette touche de réalisme unique en son genre. Ce réalisme implacable de The Wire est aussi lié au fait que la série est basée sur des figures locales bien réelles comme Thomas Carcetti (inspiré de Martin O’Malley), ou Omar Little (inspiré du braqueur Donnie Andrews). De nombreuses autres figures locales y font même leur apparition, comme l’ancien gouverneur du Maryland Robert Ehrlich Jr, Jay Landsman, ex-officier de Police à Baltimore ou encore Melvin Williams un ancien trafiquant d’héroïne de la ville.

The Wire est enfin la série du consensus, celle qui est unanimement reconnue par les critiques comme étant la plus grande série jamais produite (ce qui avouons-le, est extrêmement rare dans l’univers artistique), celle dont on range délicatement le coffret entre « Breaking Bad », « Oz », « Six Feet Under », « The Shield », ou encore « The Sopranos », celle enfin dont 10 ans après son visionnage on a toujours envie de partager et de faire découvrir aux chanceux qui ne l’ont pas encore visionnée…

ALL IS IN THE GAME!

Axel Remaster (@Axel_Remaster)

Un grand merci à mes amis qui ont voulu relire, corriger et compléter ce petit papier.

NB 1 : la série a été remasterisée et ressortie en Blu-Ray en 2015. Elle est également régulièrement disponible à la demande sur OCSTV.

NB 2 : David Simon est aussi le créateur d’autres séries de très grande qualité : « Homicide : Life on the Streets », « The Corner », « Treme », « Generation Kill », « Show me a Hero » et « The Deuce » dont la première saison s’est achevée il y a quelques semaines.

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Maretoh