Présentée en compétition au Geneva International Film Festival (GIFF) cette année, où les deux premiers épisodes ont été projetés en avant-première internationale, la nouvelle série de Fulvio Bernasconi tisse un lien fascinant entre art, mémoire et héritage moral. Coproduite par RSI, Hugofilm Features et ARTE, La Linea della Palma (littéralement La ligne du palmier) s’ouvre sur une découverte macabre : le corps d’un homme, disparu depuis des décennies, est retrouvé au moment même où un journaliste d’art exhume les zones d’ombre entourant la disparition du tableau du Caravage La Nativité avec saint François et saint Laurent.
Au croisement de ces deux mystères se trouve Anna, journaliste tessinoise dont la vie est bouleversée par ce retour du passé. Ce qu’elle croyait être une enquête sur un vol d’art se transforme peu à peu en quête de vérité sur sa propre histoire.
Au cœur du récit, Anna, interprétée par Gaia Messerklinger, journaliste solitaire dont la vie bascule lorsqu’on retrouve le corps de son père, disparu depuis des décennies. Ce coup de fil inattendu agit comme une onde de choc.
« À partir de ce moment-là, il y a un avant et un après, » explique l’actrice. « Anna découvre que tout ce qu’elle croyait savoir sur son passé était faux. Elle a grandi en pensant que son père l’avait abandonnée. Et soudain, elle comprend que la vérité est bien plus complexe et bien plus douloureuse. »
C’est cette réécriture de soi, cette bascule entre mensonge familial et quête identitaire, qui donne toute sa densité à la série. Journaliste passionnée, Anna se définit par une éthique inflexible : « Pour elle, la vérité est plus importante que tout le reste, » confie Gaia Messerklinger. « Même si cela détruit les certitudes, même si cela fait mal. »
La comédienne, révélée dans plusieurs productions italiennes, livre ici sa première performance en tête d’affiche. « J’ai eu la chance d’être entourée d’une équipe incroyable, très jeune contrairement aux productions italiennes classiques, très impliquée, » raconte-t-elle. « Ce n’est pas si fréquent de pouvoir répéter, d’avoir le temps d’explorer chaque scène, de proposer des ajustements. Fulvio Bernasconi voulait que tout sonne vrai. »
Son personnage évolue physiquement et émotionnellement, comme une toile qui se charge peu à peu de couches de peinture. « Ce que j’aime chez Anna, c’est qu’elle ne se définit pas par l’amour, comme beaucoup de personnages féminins. Elle est mue par quelque chose de plus profond : la recherche de sens, la volonté de comprendre ce qui s’est brisé. »
Cette tension intérieure s’exprime aussi dans son corps : Anna arbore un tatouage, détail soigneusement choisi avec le réalisateur. « C’est une manière de raconter qui elle est sans mots » explique-t-elle. « Elle n’est pas très bavarde : c’est son corps qui parle pour elle. »
« C’est une histoire d’évolution personnelle, » résume Gaia Messerklinger. « Une invitation à dépasser les limites qu’on s’impose à soi-même. »
Si La Linea della Palma fascine, c’est aussi parce qu’elle s’inscrit dans l’univers esthétique de Caravage : ombres profondes, éclats de lumière, visages traversés par la grâce et la culpabilité. Fulvio Bernasconi revendique cette filiation. « Caravaggio, c’est le peintre de la vérité crue » explique-t-il. « Il montre la beauté dans la violence, la lumière dans la faute. »
Le cinéaste ne signe pas une reconstitution historique du vol, mais une fiction contemporaine nourrie de cette légende. « On suit la théorie que le tableau serait en Suisse, on a reconstitué le vol au plus proche des faits, mais la série se déroule aujourd’hui » précise-t-il. « On ne raconte pas seulement le vol, on parle des descendants, de ceux qui portent encore les traces de ce passé. »
Cette approche permet à Bernasconi d’interroger le lien entre vérité et mémoire, deux obsessions récurrentes de son œuvre. « Je crois que la vérité, c’est un filigrane » dit-il. « On croit la saisir, mais elle se déforme selon les époques, selon les regards. »
Il cite volontiers des références comme Mare of Easttown ou Sharp Objects, deux séries où la vérité intime finit par contaminer l’enquête. Il parle d’une « quête de lumière dans un monde de demi-teintes. » Car La Linea della Palma ne cherche pas à résoudre un mystère, mais à comprendre pourquoi nous avons besoin d’en créer.
Tournée entre le Tessin et la Sicile, la série met en lumière la vitalité d’une production suisse italophone en pleine mutation. Bernasconi en est convaincu : « Les histoires du Tessin peuvent résonner bien au-delà de nos frontières. Le public européen est prêt à découvrir d’autres sensibilités, d’autres rythmes. »
Entre paysages du Sud et intérieurs helvétiques, La Linea della Palma joue sur les contrastes — lumière contre obscurité, Nord contre Sud, raison contre émotion. Comme un écho visuel au clair-obscur de Caravage.
Et si le tableau du Caravage n’a jamais été retrouvé, Fulvio Bernasconi en offre peut-être ici une réplique symbolique : celle d’une humanité imparfaite, éclairée par sa propre obscurité. Avec sa mise en scène soignée, sa tension psychologique et sa profondeur morale, la série s’annonce comme l’une des œuvres suisses les plus ambitieuses de l’année. La France pourra la découvrir courant 2026 sur Arte.