En compétition cette année au Geneva International Film Festival (GIFF), Just Act Normal s’impose comme l’une des grandes révélations de BBC Three. Derrière ce titre ironique, qui sonne comme un conseil impossible à suivre, se cache une comédie sociale d’une justesse rare. Créée par Janice Okoh et adaptée de sa pièce de théâtre Three Birds, la série suit trois frères et sœurs livrés à eux-mêmes après la disparition de leur mère. Pour éviter que les services sociaux ne les séparent, ils font tout pour donner le change : les devoirs, le frigo, les factures, l’école… tout doit sembler normal.
Mais rien ne l’est vraiment. L’aînée Tiana (Chenée Taylor) se bat pour maintenir la façade tout en rêvant de devenir maquilleuse. Tionne (Akins Subair), son frère, vit dans le déni, persuadé que leur mère s’est réincarnée dans un poulet qu’il garde précieusement dans le salon. Quant à Tanika (Kaydrah Walker-Wilkie), la petite dernière, elle observe le chaos avec une lucidité déconcertante. On ne saura jamais exactement ce qui est arrivé à leur mère, et c’est cette absence qui plane sur chaque épisode. Just Act Normal réussit le tour de force de transformer une situation tragique en un récit drôle, tendre et profondément humain.
Le point fort de la série tient à son équilibre fragile entre humour et douleur. Dans un autre contexte, la situation serait déchirante : ici, elle devient étrangement lumineuse. Les dialogues pétillent, les situations absurdes s’enchaînent : un dîner improvisé avec un poulet, réincarnation de leur mère, des disputes sur la lessive ou la “bonne manière” d’avoir l’air normal… et pourtant, l’émotion n’est jamais loin.
Cette tonalité hybride, entre drame et comédie, s’inscrit dans la meilleure tradition britannique des comédies sociales qui n’ont pas peur d’appuyer là où ça fait mal tout en faisant éclater de rire le spectateur, de Fleabag à Derry Girls. Mais Just Act Normal se démarque par son point de vue puisque tout est vu à hauteur de regard adolescent, là où l’imagination devient un refuge et où l’absurde est une stratégie de survie. Le poulet devient un symbole, ou simplement un besoin désespéré d’espoir. Tout respire la débrouille, la créativité et cette poésie du quotidien qu’on ne trouve que dans les foyers où tout tient par miracle. Les adultes ne sont pas loin tout de même, entre une maîtresse (Romola Garai) qui veut trop bien faire et un ex-créditeur de leur mère qui emménage chez eux.
Sous ses airs de comédie douce-amère, Just Act Normal parle avant tout de ce que signifie être “normal” quand on n’entre dans aucune case. La série explore la précarité invisible de familles qui passent sous les radars, la peur du système social, mais aussi la fierté et la dignité de ceux qui s’en sortent sans qu’on ne les voie jamais. Elle aborde également la représentation des familles noires britanniques avec finesse. C’est simplement une réalité, filmée avec empathie.
Et puis, il y a ce non-dit central : qu’est-il réellement arrivé à leur mère ? Dans les deux premiers épisodes, on ne l’apprendra pas, à voir par la suite… À travers ses trois héros, la série parle de fraternité, de responsabilité précoce, mais surtout de résilience joyeuse celle qui transforme le drame en comédie et la peur en tendresse.
À la fois drôle, étrange, poétique et bouleversante, Just Act Normal rentre dans la veine des séries britanniques qui réussissent à capturer un pan de vie avec justesse et sincérité. On en redemande. Pour le moment aucun diffuseur français n’a été annoncé.