Ouistreham

Mieux vaut lire le formidable livre-enquête de Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham, qu'Emmanuel Carrère tente vainement d'adapter. Un règlement de compte bête et méchant ?

Un film très intéressant sur ces travailleuses invisibles (au féminin car elles sont majoritaires, même si on voit quelques hommes). Le pathos n'est pas au premier plan car le film reste très centré sur l'écrivaine et on ne voit pas trop la galère quotidienne de ces femmes, les fins de mois difficiles... Les moments où on les retrouve ensemble sont des moments conviviaux (plage, anniversaire, bowling...), je trouve que cela éloigne de la galère dans laquelle elles sont plongées pour la plupart, il n'en est fait qu'illusion, l'accent est sur la pénibilité au travail sans les conséquences à court et long terme. Une Juliette Binoche très convaincante, ainsi que les autres actrices (surtout que toutes ne le sont pas).

Le scénario est très bon, le casting est super, Juliette Binoche joue impeccablement son rôle, les nouvelles actrices également. Mais il manque un truc. Je ne saurais dire quoi... Je n'ai pas réussi à adhérer à l'histoire, aux personnages, à leurs sentiments... J'ai eu quelques émotions à certains instants, notamment grâce à la bande sonore du film : l'alternance de temps musicaux, de temps parlés en dialogue ou en monologue, de silences, est très bien pensée et réussie selon moi. Ce manque d'adhésion crée un ressenti de longueur, selon moi, à certains moments, seulement. Dans l'ensemble, ça reste un film que j'ai apprécié. Il est cependant remarquable quand on sait qu'Emmanuel Carrère a voulu être au plus près du réel... Et engager comme actrices de vrais agents d'entretien ! Et c'est là qu'on visibilise VRAIMENT ces personnes invisibles au quotidien. Alors merci pour cela ! Un point, en tant que Normande, me titille... Pourquoi avoir gardé Ouistreham comme titre ? Ce film devrait s'appeler Cherbourg !!! Si vous connaissez un peu le coin, vous ne pouvez passer à côté... Quelle surprise de voir le Terminal 1 du port de Cherbourg, et non de Ouistreham... Est-ce un choix du réalisateur de ne pas faire d'efforts pour cacher cela ? Ça casse un peu toute l'immersion à mon humble avis... Le Fort du Roule éclairé en pleine nuit en arrière plan, quand même !!! D'ailleurs, Cherbourg étant une petite ville, on voit bien le nombre d'aller/retour réalisé pour les scènes de covoiturage... Des décors en arrière plan qui se répètent... Vous partez d'un point A de la ville en sens aller, le plan suivant, vous êtes à ce point A en sens inverse, le plan d'après encore, un point B dans le sens aller, puis le plan d'après, en sens inverse, puis de nouveau le point A au quatrième plan, etc. Cherbourg n'a pas qu'une avenue... L'œil du spectateur aurait pu être mieux trompé, quand même ! Alors, je sais, le film est adapté du livre Le quai de Ouistreham... Je sais le maire de Ouistreham a refusé que l'équipe du film tourne dans sa ville... Mais dans ce cas, pourquoi ne pas changer le nom du film, tout en mentionnant le livre ayant inspiré le film ? Titrer le film "Ouistreham" donne de la visibilité à une ville, dont le maire, Romain Bail, a explicitement refusé de visibiliser les travailleurs précaires pour ne pas ternir l'image de sa commune........... Alors continuons à invisibiliser ces gens, tant que la ville est toute propre. Enfin, tout ça, c'est politique...

Au final je ne suis pas arrivé à rentrer dans le film. Juliette Binoche incarne parfaitement son rôle, mais je n'ai pas réussi à y éprouver une tristesse ou autres sentiments. C'est un scénario pas trop mal trouvé pourtant je n'y ai trouvé qu'un constat, un peu comme dans un reportage. Décevant !!