En compétition sérielle cette année au GIFF, The Danish Woman marque le grand retour de Benedikt Erlingsson (Woman at War) au format série. Coproduite entre l’Islande et le Danemark, la fiction est diffusée sur la chaîne publique islandaise RÚV et arrivera sur Arte courant de l’année prochaine. Le pitch ? Une ex-agente des services secrets danois s’installe dans un vieil immeuble de Reykjavik. Très vite, elle s’impose comme la voisine bienveillante, celle qui aide, conseille… puis contrôle. Sous ses airs distingués, la « Danish woman » devient l’incarnation miniature d’un empire paternaliste : elle envahit votre quotidien au nom du bien commun. Erlingsson, le co-créateur, co-scénariste et réalisateur présent au festival résume son concept avec ironie : « C’est l’histoire d’un empire qui emménage dans votre immeuble, commence par vous aider… puis finit par vous gouverner. »
La série observe ainsi la tentation de la toute-puissance morale, ce « double tranchant » où la fin justifie les moyens. Après Woman at War et son éco-guerrière lumineuse, The Danish Woman explore le versant sombre du même idéal : que se passe-t-il quand la volonté de bien faire vire à l’ingérence ?
Ditte Jensen, incarnée par Trine Dyrholm, est tout sauf une héroïne modèle. Erlingsson s’amuse d’ailleurs du cliché hollywoodien du personnage « sympathique » : « Il existe un livre intitulé Save the Cat, qui explique que le héros doit sauver un chat dans la première scène pour qu’on l’aime. Moi, j’ai décidé de tuer le chat. » et ce, dès la séquence d’ouverture de la série… pour vous dire que non, le spectateur ne décrira pas Ditte comme une gentille dame.
L’anti-héroïne est donc posée : charismatique, pleine de bonnes intentions, mais redoutable dans l’exécution. Comme un Walter White scandinave, Ditte se persuade d’agir pour le bien des autres jusqu’à ce que tout lui échappe. La structure même de la série épouse cette montée en puissance : chaque épisode se concentre sur un voisin, une nouvelle « bonne action », avant que l’édifice ne s’effondre dans les deux derniers chapitres. « C’est comme une ascension de montagne », décrit Erlingsson. « Elle prend de plus en plus de responsabilités, jusqu’à ce que tout s’écroule. »
Sous ses airs de comédie feutrée, The Danish Woman devient une fable politique sur l’ingérence, la morale et le pouvoir. À travers ce microcosme d’immeuble sans ascenseur « l’architecture moderne est tellement laide », plaisante-t-il, le réalisateur questionne la posture européenne : comment concilier compassion et domination ?
Le ton est celui d’une « satire sociale », entre comédie et tragédie. Erlingsson revendique une approche « drôle jusqu’aux larmes » : « Je cherche le drame, mais parfois il devient tellement absurde qu’il en devient risible. C’est une histoire sérieuse racontée avec un sourire. »
La série puise aussi dans la relation ambivalente entre le Danemark et l’Islande : quatre siècles de domination danoise, un héritage culturel encore sensible. « The Danish Woman a une signification chargée pour les Islandais : elle représente l’éducatrice, la puissance polie, la supériorité bienveillante », confie-t-il. Cette dimension linguistique (la série mêle islandais, danois et anglais) reflète l’Islande contemporaine, où le multilinguisme est devenu la norme : « C’est notre nouvelle réalité. Nous sommes pratiquement bilingues aujourd’hui. »
Et si le personnage principal est une femme, ce n’est pas un hasard : « Dans mon monde, les femmes sont policières, présidentes, ministres… L’Islande a connu une révolution féministe dans les années 70, et nous en profitons encore aujourd’hui. » Le réalisateur s’inscrit dans cette tradition d’héroïnes fortes, complexes, souvent plus lucides que leurs homologues masculins.
Si l’Islande multiplie les séries policières pour l’export, The Danish Woman détonne. Erlingsson ne cache pas son exaspération : « On fait beaucoup de séries policières en Islande. Je déteste ça. » À contre-courant des « Nordic noirs » formatés, il signe ici une œuvre d’auteur à l’ironie grinçante. Portée par la présence magnétique de Trine Dyrholm, impliquée très tôt dans le projet malgré des difficultés de financement, la série préfère l’étude du comportement humain au simple suspense.
Et quand on lui parle d’influences, Erlingsson cite sans hésiter The Americans, Breaking Bad… Des récits où la double vie devient miroir moral. The Danish Woman s’inscrit dans cette lignée, tout en y ajoutant une touche poétique : ses séquences de danse, improvisées ou chorégraphiées, dévoilent une humanité inattendue.
À travers Ditte Jensen, Erlingsson rejoue la fable de la morale bien-pensante : celle qui veut sauver le monde… mais commence par imposer ses règles à ses voisins. Vous pouvez découvrir les premiers épisodes en projection au GIFF !